samedi 24 octobre 2015

Before sunset



« Je suis ailleurs mais où est-ce d’ailleurs », les plus vifs d’entre vous, connaisseurs émérites d’Etienne Daho, auront vu la référence à la chanson Bleu comme toi. C’est sur ces paroles que s’ouvre mon voyage en Finlande. Les départs en voyage, que ce soit pour le plaisir ou pour le travail, me procurent toujours une immense joie qu’il me serait difficile de vous décrire. Pour essayer de comprendre cette joie profonde, il est peut-être utile, en réalité nécessaire, de jeter un regard sur mon quotidien. J’ai une fâcheuse tendance à rythmer ma vie autour d’événements, d’actes, de manies, d’habitudes, que je répète machinalement chaque jour, m’enfonçant inéluctablement, consciemment et volontairement dans une routine que je chérie. Partir m’arrache à l’emprise de cette banalité et ouvre mon cœur et mon esprit à de nouveaux horizons et de nouvelles rencontres. Je fais également toujours en sorte de clôturer le plus de chapitres de ma vie (professionnels, administratifs, émotionnels…) avant de partir afin de m’en aller le cœur léger et l’esprit libre. Vous comprenez maintenant mieux ma profonde affection pour les départs en voyage. A ce sujet, Jacques Brel ne disait-il pas dans une interview : « un homme normal rêve de foutre le camp ».

Ceux qui ont lu le récit de mon voyage dans les fjords norvégiens savent que j’étais parti à l’aube. Aujourd’hui, au rythme de « Duel au soleil », d’ATN DAO comme j’aime le surnommer (accent anglais nécessaire), je me retire aux lumières du crépuscule. Il est 18h30 et je décampe. A mesure que le métro puis le train me conduisent à l’aéroport, je peux admirer le ciel changer lentement de couleur. On parle beaucoup des aurores boréales ici dans les pays nordiques (et j’espère en voir en Laponie) mais ces rois de la nuit ont des princes que sont les couchers de soleil. A Oslo, ces princes, drapés de manteaux de couleurs pourpres, sont magnifiques et récurrents. Du fait d’une pollution réduite à son minimum pour une ville de 620 000 habitants, le ciel, quand il est dégagé, passe du jaune à l’orange au teint vif et net, puis au rose les jours de chance. Aujourd’hui est un jour de chance.

Coucher de soleil sur Oslo

Suivant mon penchant pour l’organisation et l’anticipation, j’arrive à l’aéroport, comme à mon habitude, 1h30 à l’avance. C’est avec un calme relativement inhabituel, mais de plus en plus fréquent (conséquence de ma période junky ?), que j’encaisse la nouvelle suivante : mon avion à 1h de retard. Après avoir dévoré Les Paradis Artificiels de Baudelaire lors de mon dernier voyage, j’entame, pour meubler ces deux heures d’attente, Les Larmes d’Eros de George Bataille, un livre offert deux ans auparavant par mon frère ainé. George Bataille est peu connu du grand public mais ce dernier est un intellectuel doué du XXème siècle, dont l’œuvre multiforme, s'aventure à la fois dans les champs de la littérature, l'anthropologie, la philosophie, l'économie, la sociologie et l'histoire de l'art. Les Larmes d’Eros paraît en 1961. Bataille a plus de soixante ans, il vieillit, il est malade. Il se lance pourtant dans une œuvre pleine de santé jubilatoire, ces Larmes d'Éros, une histoire de la peinture sous le patronage d'Éros et de Thanatos, l'amour et la mort, liés depuis les temps originels, depuis les peintures rupestres jusqu'aux introspections surréalistes. Bataille dévoile une autre histoire de la peinture. Chaque civilisation, chaque courant artistique essaie de surmonter la contradiction du jouir et du mourir, l'idée que la décharge amoureuse est cousine de la mort.

J’arrive à 00h à Helsinki mais mon périple est loin d’être terminé. Marion, soucieuse d’économiser de l’argent en sélectionnant l’auberge la moins chère, n’a cependant pas pris le temps de regarder l’emplacement de cette dernière. Vous être en train de vous dire qu’elle a choisi une auberge en périphérie lointaine, mais détrompez-vous, celle-ci est à quelques centaines de mètre du centre-ville. Mais ce qu’elle aurait constaté en vérifiant son emplacement, c’est que cette dernière se trouve sur une île. Une fois arrivé à l’aéroport il me reste donc un bus de 30 min à prendre puis un ferry de 15 min, sans compter les 40 min d’attente entre les deux. Le tout pour une arrivée à bon port (vous noterez le double sens subtile) autour de 2h du matin.

Je retrouve Marion sur le ferry nous emmenant à l’auberge, pour sa part, elle a passé la journée à Tallinn en Estonie, étant arrivée un jour plus tôt. J’ai moi-même visité la capitale estonienne avant mon installation à Oslo et nous partageons nos expériences sur le trajet. A l’instar de ma personne, elle a grandement apprécié les points d’observation et le côté vallonné de cette Lisbonne baltique. La cathédrale Saint Alexandre Nevsky l’a elle aussi ébloui. On s’accorde à dire que le vieux Tallinn et ses rues étroites est splendide mais qu’une journée suffit à faire le tour de cette ville à taille humaine pour reprendre les termes d’un ami cher qui les avait employés pour caractériser Dublin (en réalité bien plus étendue que Tallinn). C’est avec soulagement que je pénètre dans l’auberge. Je fais mon lit avec soin, j’écris un texto pour rassurer ma petite amie et je m’endors sans autre forme de procès.

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